Poètes dans la cité:
Cette rubrique vous est ouverte à toutes et à tous qui par la voie du poème, entendez faire entendre dans la cité, la voix humaine du refus du mépris, de l'iniquité, de la marginalisation, précarisation, expulsion qu'impose à travers le monde, l'univers des nantis. La cité nous doit d'exister comme espace de libertés, nous devons à la cité de nous exprimer dans l'urgence du maintien de ces libertés. Lorsque la langue de communication n'est plus qu'une langue d'ordre et de soumission aux places financières de la parole et à la marchandisation de la création, il faut inventer une autre langue, un autrement parler, un autrement écrire, étrangers, pour un autrement penser la vie, son quotidien.
La langue poétique peut être cette langue étrangère dans chaque langue afin que s'écoute, se lise, se vive une autre existence plus attentive et soigneuse de l'Être. Le poème est notre peuple dont l'appartenance de tous à lui, est la chance d'une société autre, en devenir, grâce à l'allégresse d'un pas à pas utopique-critique que nous ferons ensemble.
« Poètes dans la cité » témoigne du refus éthique de se résigner à une certaine obscénité du cours mondialisé de l'histoire....Ce témoignage est l'oeuvre du poème que nous écrirons sans fin
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Ils ont oublié !
Malgré leurs avions, malgré leurs armes, ils ont peur,
Nos poitrines sont nues, nos mains sont nues
Et nous ne craignons rien.
Ils ont la haine,
Nous n’avons pas de haine.
Ils brûlent nos enfants vivants,
Nous sommes humains et tolérants.
Chaque jour ils attaquent nos villes.
Chaque jour ils infligent à notre peuple une punition collective.
ls nous privent de notre liberté,
Ils mènent contre nous une guerre meurtrière.
Nous les affrontons avec patience et enduran
Ziad Medoukh
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13h30 métro concorde
Pénétrant la chair jusqu'aux os
sans jamais resssortir
blessante lame
ce courant d'air glacial
du métro en hiver
Il ne se voit rien
ne s'entend rien
ne se dit rien
...rien dans le cercle de rien
que décrit la présence étale
dans cette main petitement tenue
par quelques pièces
Elles
Ils
sont des centaines par les rues
les sous-pentes
bouches urbaines
les poètes maudits
sans abri de recueil
viennent à la rencontres depuis
ce quelque part qui se confond ici
avec le nul ailleurs
sont assis
se fondent au gris-patience
gris-souffrance
du détour qu'ils suscitent
risquent
jusquà l'indifférence
qui les multiplie
Familière
bien ordonnée détresse
enveloppant leur aura
jusqu'à l'effacement
les jetés-là repeuplent le désert
des multitudes séparées
rassemblent en
cristaux de peur
la solitude collective
des agités
Mais celui-là
sur la marche la plus haute dans le
courant glacial
Celui-là au visage découvrant de sa
capuche
soixante dix ans de traits tirés
à bout portant d'une chance
toujours à côté
celui-là
à peine la main
cueillant la douleur au bord de lui
Celui-là
je l'ai pris dans poitrine
à pleine tête
sur le chemin de honte de mon pays
par temps qui passe
paisiblement
entre les gouttes d'infamie
Philippe TANCELIN
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AMAZONIE J'AI VU
J'ai vu
la forêt palpiter
comme un tambour de sang
la forêt ouverte
comme un amour inespéré
la forêt en cri
comme un fleuve aveuglé
un fleuve sans lit
comme des chevaux de pierre
fuyant effrayés
vers d'autres royaumes
J'ai vu
les fronts humides
d'une antique sueur
des nuits éclairant
des vertes mélodies
et l'épaisseur des rêves
dans les champs déchirés
J'ai vu des enfants jouer
comme jouent les enfants
j'ai vu des enfants sourire
comme sourient les enfants
j'ai vu des enfants travailler
comme travaillent les enfant
jouant comme des grands
leurs vies dans la main
J'ai vu des arbres
arbres abattus
comme des grands-pères centenaires
arbres la chair à vif
comme des rois solitaires
arbres suppliant
la venue d'autres cieux
J'ai vu la terre
la terre en cendres
vaincue jusqu'à l'horizon
la terre mère
la terre fiancée
créatrice du chant
et des os
des voix
et des poissons
La terre honteuse
sans visage pour les fleurs
J'ai vu les perroquets pleurer
l'absence de leur aimée
J'ai vu les touristes acheter
des plumages exotiques
J'ai vu des vaches
une vache
deux vaches
trois vaches
.....
autoroutes de bétail
défiler vers le marché
Mon royaume
pour une vache
une vache
pour sept forêts
une forêt
moitié d'hamburger
(quelques gouttes de ketchup
en hommage à la tomate
quelques grammes de moutarde
dans les entrailles du pain)
J'ai vu
un sage grand-père
fredonner aux plantes
des vieilles berceuses
pour qu'elles dorment en paix
J'ai vu des paysans
leurs mains dures
leurs mots doux
et la blanche espérance
J'ai vu la table des pauvres
le riz silencieux
honorer le moment
la farinha partager
l'humilité de sa joie
et les familles réunies
protégeant la tiédeur
J'ai vu l'espérance
une branche bourgeonner
dans le souvenir des braises
un singe amoureux
une fleur dans sa bouche
un petit vieux très vieux
déchiffrant les nuages
et un enfant lumineux
dissipant les fumées
J'ai vu
les gracieux açais
danser avec la lune
les belliqueux babaçus
préparer le combat
les perroquets proclamer
la république rêvée
et un châtaignier dressé
comme un roi sans latitudes
déclamant des poèmes
pour le retour des oiseaux
J'ai vu des visages
tous les coups
toutes les traces
tous les chemins
sur des visages déployés
comme des signes en vol
visages doux
comme le langage des palmiers
visages tendres
comme la poitrine du Xingú
visages graves
cherchant dans le brouillard
lumières de pomme
avant le serpent
toutes les racines
tous les fleuves
toutes les veines
éclatant en visages
comme des destins verticaux
constellations de visages
cherchant leur sens
cherchant leurs tracés
dans les contours de la douleur
constellations de regards
sous la Croix du Sud
depuis toujours
avant
que le feu apprivoisé
avant
que la hache en liberté
avant
que le verbe exalté
La Croix du Sud
racine de la lumière
et origine d'un silence
jamais entendu
J'ai vu des lumières
lumières diffuses
tatouant des messages
sur le dos du fleuve
lumières incendiant le ciel
pour que soient exaucées
les promesses de la nuit
tombées de lumières
en voiles différents
...
mais le même suicide
le même soleil qui chute
le même rite circulaire de la mort
J'ai vu
les lumières qui restent sur les lèvres
après le premier baiser
lumières qui montent sur le toit
pour demander une faveur à la lune
lumières caressant les troncs
pour deviner l'âge des blessures
J'ai vu des eaux
eaux de toutes les formes
eaux comme des fleuves
portant au soleil
d'anciennes cargaisons
d'illusions marines
eaux comme des pluies
tombant
châtiant
purifiant
lavant les outrages commis
ramenant des histoires oubliées
Des pluies
dévoilant au sol
les secrets imbibés
dans la colère des astres
signes de la chute
vers des sources ignorées
au centre du futur?
ou tout simplement eaux?
eaux racontant
des légendes végétales
que personne ne sait écouter
eaux comme des marécages
comme des miroirs de boue
reflétant des ciels muets
eaux comme du charbon
érigeant les formes
de l'ultime adieu
J'ai vu des eaux
comme des fleuves
comme des pluies
comme des miroirs
comme des manteaux froids
qui n'abritent plus
l'élégance des poissons
Eaux perdues
...
tâtonnant
demandant
se souvenant
Eaux rêvant
...
d'un instant de transparence
dans la pensée du lac
de l'avenir des semences
dans un sillon de maïs nouveau
ou des sortilèges du vent
aux origines de l'amour
J'ai vu des mains
des mains qui savent
façonner le monde
savent être chant
savent être mère
savent être burin
savent être boue
mains de lumière
éclairant les poteries
mains de miel
arrachant les épines
des mains serrant des mains
donnant les jus
au cœur de la canne
J'ai vu
des mains de toutes les races
des mains de toutes les vérités
de Juan Sintierra
de María Pródiga
de Pablo Firmamento
des mains traversant le Brésil
cherchant un mouchoir
de terre à aimer
un mouchoir de terre
pour que pousse un arbre
pour que pousse un toit
pour que poussent les mots
qui un jour nous donneront le sens
J'ai vu un point
un point sur la terre
pour contempler ma hauteur
un point sur la colline
pour être feuille dans le fleuve
un point au pied d'un arbre
pour savoir si mes bras
sont branches ou illusions
J'ai vu un point
un point dans le temps
pour la concavité du repos
un point dans l'enfance
pour protéger la tendresse
un point dans la jeunesse
pour l'explosion des fleurs
un point sur mon âge
pour l'épaisseur des raisins
un point pour concentrer
la sève mature
un point
...
pour pleurer pour tous
pour la terre en cendres
pour les vaches innocentes
pour les arbres abattus
pour le deuil des oiseaux
J'ai vu
...
Amazonie
...
J'ai vu
José Muchnik
Louma 1997 France Ed. bilingue français – espagnol \ Traduction : Maïra Muchnik, Emmanuelle Lambert
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L'écharpe d'iris
L'écharpe d'Iris a beau esquisser un pas de danse
et les étoiles encore regorger de miel roux
rien ne peut à présent nous masquer
le vol alourdi de l'éphémère
ou les jambes mutilées de la gazelle
Extrait du recueil Les Coeurs apostrophés Editions Chloé des Lys 2008
Sors ta flûte
Sors ta flûte de l'oubli où elle croupit
pour que tes artères à nouveau sillonnent l'espace
joue le son rituel de ton existence
veinée et parsemée de milliers de cris
exhume tes airs des geysers de la flûte
et ne t'inquiète pas des dissonances amères
ni des piqûres du bec sur la peau de tes lèvres
joue jusqu'à en perdre le souffle
Extrait du recueil Les Coeurs apostrophés Editions Chloé des Lys 2008
Patrick Navaï